Pure vision
Je commence à mieux comprendre l’idée du « qui suis-je ? » de Jean Klein. Je viens de terminer son livre La joie sans objet. Il contient trois livres anciens qui étaient épuisés. Je trouve qu’il donne de meilleures explications, et plus longues, que dans les livres plus récents. Et j’ai l’impression que quelque chose commence à prendre place en moi : une certaine conscience de l’arrière-plan de silence ; elle est encore ténue en comparaison avec le premier plan du moi, surtout quand je me sens irrité, malade ou inconfortable ; mais elle est quand même là. Ainsi, il me semble que je ne prends pas à cent pour cent au sérieux mes contrariétés et mes souffrances : c’est déjà un net progrès par rapport au passé !
Dimanche soir, au début de ma promenade, je me disais que j’avais bien réalisé ce qu’était le désenchantement : qu’aucune situation objective ne pouvait me donner de réelle satisfaction. Je l’ai bien compris – et plus ou moins bien intégré – et je cesse de courir spontanément et sans réfléchir après tous les plaisirs des sens et les projets d’avenir. Je me disais que je renonçais ainsi à tous les plaisirs de la vie, mais ne renonçais pas pour autant à tous ses désagréments. Là est mon problème. Comme je pratique le désenchantement, je devrais pratiquer la « désaffliction » ou la « dédramatisation » (je n’ai pas encore trouvé le mot approprié) : réaliser qu’aucune situation objective ne peut réellement me faire souffrir. Là, bien sûr, il ne faut plus se placer au niveau de l’ego, mais au niveau du Soi, du « qui suis-je ? », du silence. Cette révélation a eu un fort impact et je me suis retrouvé dans un état de calme et de silence, un état presque jhanique. J’ai continué ma promenade dans la pure vision : je voyais les arbres, le petit lac, les roseaux, le ciel, les nuages avec une grande netteté, un scintillement et un émerveillement. Quelques vieux cylindres de béton peints en rose, abandonnés au bord du chemin, formaient une étonnante sculpture. J’étais complètement dans l’arrière-plan ! Mais le lendemain matin, sur le golf, mon premier plan contrarié avait repris le dessus. J’ai fait quelques timides tentatives infructueuses pour retrouver la pure vision de la veille, puis l’ai vite oubliée.
8 décembre 2010, Chiang Mai